Quitter le monde…

« En considérant une particule donnée, on ne peut jamais connaître à la fois sa position et sa vitesse ; c’est l’une ou l’autre ; telle est l’indertermination de tout fragment de vie (principe d’incertitude énoncé par le mathématicien allemand Werner Helsenberg).
Et c’est aussi le destin, m’étais-je dit après avoir lu cette définition : un déplacement arbitraire de particules qui nous entraînent vers des destinations que nous n’aurions jamais imaginées. L’incertitude… Elle gouverne chaque instant de la condition humaine. »

L’histoire.

Jane Howard a 13 ans quand elle énonce de manière catégorique : « Je ne me marierai jamais et je n’aurai jamais d’enfants » lors d’une énième dispute de ses parents.
Elle est loin de se douter qu’à partir de ce soir-là, sa vie va basculer dans le cauchemar : son père quitte sa mère et cette dernière ne cesse de reprocher à sa fille cette phrase malheureuse, qui – selon elle – est seule responsable du départ de son époux.
Jane devient adulte, décroche un doctorat en littérature avec un brillant avenir qui s’ouvre devant elle mais voilà, le destin s’acharne contre elle…
Jane perd l’amour de sa vie, le Professeur David Henry avec qui elle entretenait une liaison de puis 4 ans et qui a décidé de mettre fin à ses jours suite au fiasco et la mauvaise critique de son bouquin, elle perd son emploi à cause de son père,…

Dans tout ce malheur, Jane a néanmoins une source intarissable de bonheur dans sa vie, sa fille Emily, son rayon de soleill.
Mais un nouveau malheur s’abat sur Jane qui, cette fois, semble résignée à quitter ce monde…

Mon avis.

C’est la troisième fois que je me frotte au style de l’auteur Douglas KENNEDY que j’affectionne tout particulièrement.
Après « L »homme qui voulait vivre sa vie » et « Les charmes discrets de la vie conjugale« , j’ai donc lu « Quitter le monde« .
Comme à son habitude, Douglas KENNEDY dépeint avec brio des destins gâchés et malheureux de Monsieur ou Madame Tout le Monde.
Ici, c’est le destin de Jane Howard qu’il a choisi de nous conter, une brillante d’universitaire à qui la vie n’a fait aucun cadeau. C’est sans doute ici l’un des destins les plus tragiques racontés par KENNEDY… et dès lors, le plus émouvant…

Le roman est construit sur 5 parties distinctes qui marquent chaque fois une étape de la vie de Jane.
Les deux premières parties sont assez longuettes et remplies de descriptions et de détails spécifiques concernant, soit la littérature américaine qui ne sont toujours pas connus par les lecteurs, et encore moins les lecteurs non américains, soit les finances…
Ces détails assomment le lecteur, l’ennuient et n’importent rien de concret à l’histoire, lassant le lecteur qui attend désespérément que quelque chose se passe…

Une fois que l’on arrive dans la 3ème partie, les choses bougent doucement, on entre dans l’histoire de sa rencontre avec Theo et de la naissance d’Emily …
On prend plaisir à apprécier ces instants de bonheur dans la vie difficile d’une femme qui n’a rien à se reprocher pour mériter un tel acharnement du destin.
Et ensuite, on replonge de nouveau dans les drames, les coups durs assénés à cette pauvre Jane… et on ne peut s’empêcher de penser : l’auteur n’en fait-il pas trop ? Est-il possible humainement parler d’accumuler autant de malheurs sur une vie ?
Bien vite, ce sentiment est éclipsé quand arrive l’indicible, ineffable…
Sans en dévoiler trop pour ceux qui désirent lire le roman, le drame crucial dans la vie de Jane, celui qui fait basculer définitivement sa vie est purement et simplement déchirant.
À partir de cet instant, le roman prend une nouvelle dimension émotionnelle : on ne peut rester indifférent au malheur de Jane et j’avoue que très émue par ma lecture, je n’ai pu retenir quelques larmes.
L’auteur prend son temps pour nous conter l’histoire du drame de Jane, ne révélant pas les détails tout de suite, attendant que cette dernière soit prête à en parler, à dévoiler ce passage noir de son existence.
On ne saura que bien plus tard dans le roman ce qui est arrivé ce jour-là, ce qu’à ressenti Jane, ce qu’elle a vécu et les instants qui ont suivi…
Je remarque ici le talent de l’auteur qui a laissé du temps à sa malheureuse héroïne pour nous raconter ce qui s’était vraiment passé et ce qu’elle ressentait vraiment… lui laissant ainsi une période de deuil durant laquelle elle est dans l’incapacité totale de parler de ce vécu, même d’y penser, donnant une dimension tellement réaliste à son histoire qu’on imagine avoir quitté le cadre d’un simple roman pour atteindre celui d’une histoire réelle qui nous est contée.

Les dernières parties du roman sont consacrées à la remontée difficile de Jane dans le monde, passant par ses moments de doute, de folie suicidaire tellement vrais, réalistes jusqu’à la note positive sur laquelle se termine le roman : « Le ciel est bleu et les oiseaux y volent ».

Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé le roman ainsi que le style de l’auteur qui subtilement, au détour d’une pensée de Jane, nous délivre des « petites phrases passe-partout » destinées à nous rendre le sourire, à affirmer des vérités si vraies qu’on ne pense jamais à les énoncer mais qui font tellement du bien quand on y pense !

Un roman émouvant à bien des égards qui ne peut laisser personne indifférent face à la tragédie vécue par l’héroïne, un questionnement sur nous-même qui nous pousse dans nos retranchements et à nous demander : « Et nous, que ferions-nous si nous avions vécu cette tragédie ? Est-il possible de continuer à vivre quand un tel malheur s’abat sur nous ? Que faire pour remonter la pente quand on se trouve au plus mal ?
L’histoire d’une jeune femme forte qui sombre mais qui nous montre, que même si le malheur le plus terrible s’abat sur nous, il est toujours posssible – avec du temps – de surmonter et de continuer à vivre… avec la douleur.

Un roman que je conseille fortement, une belle leçon de vie, surtout pour les plus sensibles d’entre nous.

Je ne peux pas m’empêcher de vous faire partager mon passage préféré (page 139) :

« Au fond, n’était-ce pas ça le bonheur ? Une parenthèse pendant laquelle, sans penser au passé ou à l’avenir, on arrive à s’enfuir de soi-même ? Plus de réminiscences venant vous hanter, plus d’appréhensions qui ruinent votre sommeil ; juste la redécouverte que l’instant présent est merveilleux… »

« Quitter le monde » de Douglas KENNEDY
Paru cher Belfond, 2009.
23 €.

Commentaires

  1. Bel article ma puce. Je pense cependant que ce n'est pas pour moi ^^ Le résumé annonce un livre too much. Trop de coup de butoirs sur l'héroine je dirais. Si c'est pour dire au lecteur "regardez, vous devrez être heureux car vous ne souffrirez jamais autant que cette femme", c'est malsain je trouve. En plus, les bonheurs éphémères, c'est du vu et revu. L'amener comme la luciole dans les ténèbres, c'est un peu osé. Une vie heureuse, c'est quand même une vie parsemé de petits bonheurs.

    Une vie dont on a passé 95% du temps à souffrir pour au final être heureux est-elle mieux qu'une vie de bonheur se terminant par 5% de souffrance ? 3 juin 2009 23:51

  2. Petite rectification par rapport à ce que tu viens de dire : je n'ai nullement trouvé le livre moralisateur, tendant à dire qu'on devrait "se contenter du bonheur que l'on a", car même si les malheurs de Jane se succèdent, celui qui la met à terre est simplement déchirant.
    Je connais des personnes qui ont vécu ce drame "dans la vraie vie"...
    Je peux donc dire que l'histoire est donc contée avec réalisme mais sans exagération ni condescendance.
    C'est certes une belle leçon de vie, un leçon de courage mais jamais, je n'ai senti un ton paternaliste de la part de l'auteur dans ce roman. 4 juin 2009 00:05

  3. Je suis une inconditionnelle de Kennedy : je le lirai ! :)) 4 juin 2009 09:19

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